Équilibre énergétique
La régulation de l’équilibre énergétique englobant le comportement ingestif et la coordination des réponses humorales, gastro-intestinales et métaboliques à l’état nutritionnel représente un exemple spécifique et bien documenté d’un système homéostatique finement réglé qui est assez sensible aux changements environnementaux. Le contrôle dynamique de la quantité et du type d’aliments consommés est présent dès la petite enfance, chez l’homme comme chez l’animal, et mûrit au cours du sevrage. En effet, l’émergence simultanée de la sensibilité au glucose à l’âge adulte et de la réceptivité de l’axe HPA à l’activation du stress suggère que les mécanismes adaptatifs, qui réagissent aux facteurs de stress se métamorphosent de la vie néonatale à la vie adulte, sont intimement liés aux besoins métaboliques d’un organisme (Widmaier, 1990). En conséquence, étant donné le rôle séminal du CRF dans l’initiation des composantes actives « combat ou fuite » de la réponse aux stresseurs, un rôle intrinsèque complémentaire du CRF dans la coordination des séquelles passives de l’exposition au stress, telles que l’inhibition de la motilité intestinale et l’extinction de l’appétit, ne serait pas surprenant (Heinrichs et Richard, 1999).
Des preuves considérables suggèrent un rôle des systèmes endogènes cérébraux du CRF dans la régulation de l’appétit, l’équilibre énergétique et dans l’étiologie des troubles alimentaires (Glowa et al…, 1992 ; Dagnault et al., 1993). La prise alimentaire est diminuée par l’administration d’agonistes du CRF ou par des traitements qui élèvent les niveaux de CRF endogène, tels que le stress, l’induction de tumeurs ou les médicaments qui suppriment l’appétit. Il est intéressant de noter que le traitement par CRF induit, en même temps qu’une réduction de la prise alimentaire, une augmentation de l’activité du système nerveux sympathique. Ce résultat suggère que l’effet anorexigène du CRF peut être médié, comme ses effets thermogéniques, par un contrôle central du système nerveux autonome (Rothwell, 1990). Il est intéressant de noter qu’il existe peu de rapports sur les effets intrinsèques des antagonistes des récepteurs du CRF sur l’équilibre énergétique. En particulier, l’administration centrale de l’antagoniste des récepteurs du CRF, le CRF α-hélicoïdal (9-41), ne modifie pas la prise alimentaire chez les sujets non privés ou privés de nourriture à des doses qui potentialisent l’appétit induit par le neuropeptide Y et atténuent la suppression de l’appétit induite par le stress. Ces indices indiquent que le CRF joue un rôle physiologique dans l’induction d’une balance énergétique négative, non pas à l’état d’équilibre, mais dans des conditions de faim/de prise de poids exagérées qui peuvent être contrecarrées par les effets anorexiques et sympathomimétiques des systèmes CRF activés. En effet, le contenu cérébral en CRF dépend de l’alimentation/du statut pondéral dans des modèles animaux de balance énergétique déréglée, tels que le rat obèse Zucker, la cachexie tumorale, l’exercice chronique, et dans le contexte de changements d’appétit induits par des médicaments ou le stress (Heinrichs et Richard, 1999).
Les premières indications que le CRF pourrait jouer un rôle dans la régulation de l’équilibre énergétique, du poids corporel et de l’obésité sont nées indirectement d’expériences qui ont évalué les effets de la surrénalectomie chirurgicale chez des rongeurs génétiquement ou chirurgicalement obèses. La surrénalectomie bilatérale active les systèmes CRF hypothalamiques et prévient, atténue ou inverse les taux normalement élevés de dépôt d’énergie chez les rats Zucker, les souris ob/ob et db/db génétiquement obèses et chez les rongeurs rendus obèses par des lésions chimiques ou chirurgicales de l’hypothalamus (Rothwell, 1990). De plus, la prise alimentaire excessive est également supprimée par la surrénalectomie. Cependant, cet effet anorexique de la surrénalectomie n’explique qu’une partie de la réduction de la prise de poids puisque des niveaux comparables de restriction alimentaire chez les rats intacts n’empêchent pas le développement de l’obésité. La mesure du bilan énergétique et de la consommation d’oxygène comme indices du taux métabolique a révélé que la surrénalectomie supprime l’efficacité très élevée de la prise de poids chez les rats obèses et augmente le taux métabolique. L’une des caractéristiques de l’étiologie primaire de l’obésité dans ces modèles animaux, à savoir une production insuffisante de chaleur dans le tissu adipeux brun excité par la sympathie, est normalisée par la surrénalectomie, de sorte que la réponse thermogénique sans frisson à la nourriture est augmentée par la surrénalectomie et rétablie aux valeurs observées chez les animaux maigres. Les effets de la surrénalectomie sur l’équilibre énergétique et la thermogenèse ne sont pas limités aux rongeurs génétiquement obèses et ont été signalés comme inhibant le développement de l’obésité après des lésions électrolytiques des noyaux hypothalamiques ventromédians et paraventriculaires. Il est particulièrement important de noter que la suralimentation et le surpoids induits pharmacologiquement par l’administration chronique de neuropeptide Y sont également inversés par une surrénalectomie. Pris ensemble, ces effets restaurateurs généralisés de l’équilibre énergétique de la surrénalectomie suggèrent l’efficacité bénéfique de l’activation du CRF dans les formes humaines d’obésité.
Plusieurs lignes de recherche suggèrent qu’un système de neuropeptide Y (NPY) endogène hyperactif peut contribuer à la suralimentation et à la prise de poids, tandis que les propriétés anorexiques et cachexiques du CRF peuvent agir pour restaurer l’équilibre énergétique (Beck et al., 1990 ; Brady et al., 1990 ; Dryden et al., 1993 ; Jeanrenaud, 1994). L’hypothèse selon laquelle le CRF endogène exerce une action inhibitrice sur la prise alimentaire a été testée à l’aide de microinj ections cérébrales du CRF α-helical (9-41). Le prétraitement avec l’antagoniste du CRF par voie intracérébroventriculaire ou directement dans le noyau para-ventriculaire de l’hypothalamus (PVN) améliore la capacité du NPY administré dans le même locus à stimuler l’alimentation. L’amélioration des effets orexigènes du NPY a également été observée deux semaines après une atteinte immunologique des neurones du CRF dans le PVN par l’administration locale d’un anticorps monoclonal contre le CRF et de toxines. Ces résultats sont en accord avec les rapports précédents sur l’effet antistress du CRF α-hélicoïdal (9-41) dans l’inversion de l’anorexie produite par le stress de contention. En outre, la prise de nourriture qui se produit en réponse à un facteur de stress physiologique tel qu’un déséquilibre nutritionnel peut être limitée par les actions anorexiques des systèmes CRF endogènes. Ainsi, les systèmes CRF peuvent servir à limiter la prise alimentaire lorsqu’un élément de risque s’immisce dans les habitudes alimentaires établies des animaux contraints par le besoin biologique de consommer de nouveaux aliments ou de consommer de la nourriture dans des conditions de stress. En particulier, l’appétit qui est exagéré pharmacologiquement par des traitements tels que le NPY peut être maintenu en échec par l’activation simultanée du CRF endogène.
Les antagonistes des récepteurs du CRF peuvent avoir une utilité dans le contexte des troubles de l’alimentation (Krahn et Gosnell, 1989). L’anorexie et la boulimie sont des troubles de l’alimentation caractérisés par des pathologies psychologiques telles que des altérations de la prise alimentaire liées au stress ainsi que des irrégularités physiologiques telles qu’un retard de vidange gastrique (Holt et al., 1981 ; Inui et al., 1995 ; Asakawa et al., 2000). Il est intéressant de noter que l’administration centrale d’antagonistes mixtes des récepteurs du CRF entraîne une normalisation de l’anorexie induite par le stress (Contarino et al., 1999b) et de la stase gastrique (Taché et al., 1999) et que l’antagoniste des récepteurs du CRF1, CRA 1000, a empêché l’inhibition de la prise alimentaire induite par le stress émotionnel (Hotta et al., 1999). La comorbidité des troubles du comportement alimentaire et de la dépression (Wiederman et Pryor, 2000) pourrait favoriser l’efficacité des antagonistes des récepteurs du CRF1 dans les troubles du comportement alimentaire accompagnés d’une psychopathologie affective. De plus, des études récentes ont montré que l’administration centrale de CRF et du peptide urocortine 1, plus puissant, supprimait la prise alimentaire chez les rongeurs (Adinoff et al., 1996) et que cette action était empêchée par l’administration intracérébroventriculaire de l’antisauvagine-30, ce qui suggère un rôle des récepteurs CRF2 dans le syndrome anorexique induit par le CRF (Pelleymounter et al., 2000).