En 1997, l’American Diabetes Association (ADA) a défini 2 classes de perturbation du glucose : la glycémie à jeun altérée (IFG ; glycémie plasmatique à jeun 6.1 à 6,9 mmol/L ) et le diabète (glycémie à jeun ≥7 mmol/L ), qui diffèrent de la catégorie d’intolérance au glucose de l’Organisation mondiale de la santé (glycémie à jeun 6,1 à 7,6 mmol/L ).1,2

L’IFG est probablement un trouble glycémique fréquent dans la population générale et est considéré comme un état prédiabétique.1 La mortalité associée à l’IFG a été examinée dans diverses études avec des résultats contradictoires, et cette question n’a jamais été abordée en tenant compte d’autres facteurs de risque. Dans l’étude Funagata Diabetes Study3, les auteurs ont conclu que l’intolérance au glucose était un facteur de risque de maladie cardiovasculaire mais pas l’IFG. Cependant, dans cette étude, la population et le nombre de décès étaient faibles (3 décès par maladie cardiovasculaire dans le groupe IFG). De plus, le rôle de la pression artérielle n’a pas été examiné dans cette étude. Dans le groupe d’étude DECODE4, l’hyperglycémie post-challenge a été considérée comme un marqueur crucial dans l’évaluation du risque de mortalité chez les patients présentant une anomalie de la glycémie à jeun, mais le rôle de la pression artérielle n’a pas été examiné. Enfin, dans l’étude prospective de Paris,5 il n’y avait pas de seuils clairs pour la concentration de glucose à jeun au-delà desquels la mortalité augmentait fortement.

Prenant en compte le fait que la combinaison d’autres facteurs de risque, probablement à travers le syndrome métabolique, peut jouer un rôle crucial dans la détermination du risque global d’IFG,6 nous avons analysé la prévalence de l’IFG et les relations entre l’IFG, les autres facteurs de risque, y compris la pression artérielle, et la mortalité globale et par maladie cardiovasculaire (MCV) à 8 ans dans une large population générale française à risque cardiovasculaire relativement faible.

Méthodes

Sujets

Les sujets ont été examinés au Centre d’Investigations Préventives et Cliniques (Centre IPC), qui est un centre médical subventionné par la Sécurité Sociale française (CNAM). Ce centre offre à tous les actifs et retraités un examen de santé gratuit tous les 5 ans et est l’un des plus grands centres médicaux de ce type en France, ayant réalisé environ 20 000 examens par an depuis 1970 pour les personnes vivant en région parisienne. Dans cette étude, nous avons analysé les données qui décrivent une population de 69 833 hommes consécutifs âgés de ≥21 ou ≤60 ans. Ont été exclus les sujets précédemment traités pour un diabète sucré ou une hypertension, ceux ayant des antécédents de maladie coronarienne, ainsi que les sujets ayant une glycémie à jeun <3,9 mmol/L ou >6,9 mmol/L. Enfin, 63 443 hommes, âgés de 21 à 60 ans, qui ont eu un bilan de santé, incluant une mesure de la glycémie à jeun au centre IPC de 1982 à 1988 ont été étudiés.

La période d’étude de suivi s’est terminée en décembre 1996, et tous les sujets ont été suivis pendant au moins 8 ans. Les sujets décédés ont été identifiés grâce aux registres de mortalité de l’Institut National de Statistiques et d’Etudes Economiques (INSEE), selon une procédure détaillée précédemment.7 Les causes de mortalité ont été tirées des certificats de décès. Ces données ont été fournies par le département de mortalité de l’INSERM (unité SC 8). Les causes de décès ont été codifiées selon la classification internationale des maladies (9e révision). Les codes suivants ont été utilisés pour classer les différentes causes de mortalité : 390 à 459 pour la mortalité par maladie cardiovasculaire (MCV) et 430 à 439 pour la mortalité cérébrovasculaire. Sur la base de cette procédure, 1083 sujets de notre cohorte ont été identifiés comme étant décédés pendant la période de suivi (822 dans le groupe glycémie normale à jeun et 261 dans le groupe IFG), et 171 d’entre eux sont décédés de MCV (117 dans le groupe NFG et 54 dans le groupe IFG).

Analyse des données

La glycémie à jeun a été classée en 2 groupes selon la classification de l’American Diabetes Association :1 (1) NFG (glycémie à jeun : 3,9 à 6 mmol/L ) et (2) IFG (glycémie à jeun : 6,1 à 6,9 mmol/L ).

Une infirmière a mesuré la pression artérielle en décubitus dorsal au bras droit à l’aide d’un sphygmomanomètre manuel. Après une période de repos de 10 minutes, la pression artérielle était mesurée 3 fois, et la moyenne des 2 dernières mesures était calculée. La première et la cinquième phase de Korotkoff ont été utilisées pour définir la pression artérielle systolique (SBP) et diastolique (DBP). Les niveaux de SBP et de DBP ont été classés en 3 groupes. Les groupes de TAS étaient les suivants : <140 mm Hg, 140 à 159 mm Hg, et ≥160 mm Hg. Les groupes de TAD étaient les suivants : <90 mm Hg, 90 à 99 mm Hg, et ≥100 mm Hg. La pression pulsée (PP) était définie comme la PAS moins la PAD et était également classée en 3 groupes : <50 mm Hg, 50 à 64 mm Hg, et ≥65 mm Hg.

Les taux de cholestérol plasmatique total et de triglycérides ont été mesurés avec un Technicon SMA-12 et ont été analysés comme des variables continues. Le statut tabagique a été évalué à l’aide d’un questionnaire auto-administré contenant des questions dichotomiques (oui ou non) concernant le tabagisme actuel.

La PSB, la PAD, la PP, le cholestérol total, les triglycérides, l’indice de masse corporelle (IMC) et le statut tabagique ont été comparés par une analyse multivariée après ajustement sur l’âge. Les rapports de risque (RR, intervalle de confiance à 95 %) pour la mortalité globale et la mortalité due aux maladies cardiovasculaires ont été évalués à l’aide d’une analyse de régression de Cox, en tenant compte de l’âge, du cholestérol total, des triglycérides, de l’IMC, du tabagisme et soit du TAS, du TAD, de la PP, soit du GNA, du GIF. Tous les calculs statistiques et les comparaisons ont été effectués à l’aide du logiciel statistique SAS (SAS Institute, Inc).

Résultats

Dans la population, 10 773 hommes (17,0%) avaient un IFG et 52 670 un NFG. Le tableau 1 résume les caractéristiques de la population en fonction du statut de perturbation du glucose. Les moyennes de la TAS, de la TAD, de la PP, du cholestérol total, du taux de cholestérol >260 mg/dL, du taux de triglycérides, de l’IMC et du taux d’IMC >30kg/m2 (sauf dans la classe d’âge 21 à 30 ans) étaient significativement plus élevées dans le groupe IFG que dans le groupe NFG. Le taux de tabagisme actuel était significativement plus faible dans le groupe IFG que dans le groupe NFG. Il est intéressant de noter que les différences entre les sujets IFG et NFG étaient indépendantes de la classe d’âge. Les catégories socioprofessionnelles étaient les suivantes : cadres 54% contre 51% ; employés 24% contre 28% ; classes populaires 15% contre 11% ; autres 7% contre 10%, respectivement dans les groupes IFG et NFG.

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Tableau 1. TABLEAU 1. Description de la population selon le statut glycémique et l’âge

Gammes d’âge, an
21-30 31-40 41-50 51-60
IFG (n=1033) NFG (n=12447) IFG (n=2954) NFG (n=17109) IFG (n=3734) NFG (n=13907) IFG (n=3052) NFG (n=9207)
Les données sont présentées sous forme de moyenne (écart-type) ou de pourcentage (%).
NFG indique une glycémie à jeun normale ; IFG, une glycémie à jeun altérée ; Antécédents familiaux, antécédents familiaux d’infarctus aigu du myocarde.
*P=NS vs NFG.
SBP, mm Hg 137 (12) 131 (11) 137 (12) 131 (11) 138 (14) 133 (12) 142 (15) 137 (14)
DBP, mm Hg 82 (9) 79 (9) 84 (10) 81 (9) 86 (10) 83 (9) 88 (10) 85 (10)
PP, mm Hg 55 (9) 52 (8) 53 (8) 51 (8) 52 (9) 50 (8) 54 (9) 52 (9)
Cholestérol, mg/dL 197 (40) 187 (38) 226 (44) 215 (42) 236 (41) 229 (41) 241 (41) 235 (41)
Cholestérol≥260 mg/dL (%) 7 4 21 14 27 21 31 26
Triglycérides, mg/dL 93 (65) 82 (50) 119 (91) 104 (75) 129 (94) 115 (76) 130 (85) 120 (74)
BMI, kg/m2 23 (3)* 23 (3) 25 (3) 24 (3) 26 (3) 25 (3) 26 (3) 25 (3)
BMI≥30 kg/m2 (%) 2* 2 6 3 8 5 10 6
Fumeur actuel (%) 41 42 29 33 28 31 28 31
Antécédents familiaux (%) 7 5 11 12 16* 16 17

Le tableau 2 résume la distribution des anomalies de la TAS, DBP, et PP en fonction de l’état de perturbation du glucose. Plus de 25 % des sujets IFG présentaient des valeurs anormales de la SBP. Des tendances similaires ont été trouvées pour la DBP et la PP.

Tableau 2. TABLEAU 2. Description de la population selon les classes de pression artérielle systolique, diastolique et pulsée

Gammes d’âge, an
21-30 31-40 41-50 51-60
IFG NFG IFG NFG NFG IFG NFG IFG NFG
Les données sont présentées en % de patients dans chaque groupe (NFG ou IFG) pour chaque paramètre (SBP, TAD, PP). Chaque valeur est significativement différente (P<0,05) par rapport au groupe NFG.
SBP 140-159 mm Hg 20,0 10.4 18,5 9,8 21,6 12,7 23,5 18,6
SBP≥160 mm Hg 6.5 1,8 7,0 2,6 9,5 4,3 14,9 9,0
DBP 90-99 mm Hg 24.2 15.2 28.3 18.9 31.6 24.4 34.3 30.5
DBP≥100 mm Hg 5,9 2,6 9,4 4,3 14,2 7,5 17.5 12,1
PP 50-64 mm Hg 61,3 56,3 56,9 49,9 55,7 46.3 56,7 51,8
PP≥65 mm Hg 17,1 8,7 9,9 4,8 9.1 4,6 14,6 9,3

La figure 1 montre la prévalence de l’IFG selon l’âge et le niveau de SBP. La prévalence de l’IFG était clairement augmentée avec l’élévation de la pression artérielle systolique et l’âge. Au-delà de 40 ans, près de 30% des hommes ayant une pression artérielle systolique comprise entre 140 et 159 mm Hg présentaient une IFG.

Figure 1. Prévalence de l’IFG (% de la population globale) en fonction de l’âge et des classes de TAS. IFG indique une altération de la glycémie à jeun ; SBP, pression artérielle systolique.

Le tableau 3 montre le nombre brut et les pourcentages de décès globaux à 8 ans et de décès par MCV dans chaque groupe de pression artérielle et de statut glycémique. L’IFG était associé à un risque accru de mortalité globale et de mortalité par MCV, qui semblait dépendre du niveau de pression artérielle.

Tableau 3. TABLEAU 3. Nombre total de patients, décès globaux à 8 ans, et décès cardiovasculaires dans chaque groupe de pression artérielle et d’état glycémique.glycémique

NFG (n=52 670) IFG (n=10 773)
n Mortalité globale Mortalité cardiovasculaire . n Mortalité globale Mortalité CV
Les résultats sont présentés sous forme de n (% dans chaque groupe de pression artérielle et d’état glycémique) pour les décès globaux et les décès CV à 8 ans.ans et les décès CV. Les décès CV indiquent les décès cardiovasculaires.
SBP<140 mm Hg 44 040 606 (1,38) 74 (0,17) 7376 137 (1,86) 19 (0.26)
140≤SBP≤159 mm Hg 6485 129 (2,00) 23 (0.35) 2289 75 (3,28) 21 (0,92)
SBP≥160 mm Hg 2145 87 (4.07) 20 (0.91) 1108 49 (4.42) 14 (1.22)
DBP<90 mm Hg 38 055 510 (1,34) 55 (0,14) 6022 113 (1.88) 17 (0,28)
90≤DBP≤99 mm Hg 11 353 206 (1,81) 36 (0,32) 3323 91 (2,74) 21 (0.63)
DBP≥100 mm Hg 3261 106 (3,25) 26 (0,80) 1428 57 (3.99) 16 (1,09)
PP<50 mm Hg 22 418 277 (1.24) 39 (0.17) 3352 53 (1.59) 8 (0.24)
50≤50≤PP≤64 mm Hg 26 787 444 (1,66) 62 (0,23) 6127 147 (2.40) 34 (0,55)
PP≥65 mm Hg 3465 101 (2,90) 16 (0,46) 1294 61 (4,71) 12 (0.93)

Le tableau 4 résume le risque relatif (RR) de mortalité par MCV à 8 ans et de mortalité totale des patients IFG par rapport aux patients NFG pour différents niveaux de SBP, DBP ou PP, ajustés pour l’âge, les taux de cholestérol et de triglycérides, l’IMC et le tabagisme. Lorsque la TAS était <140 mm Hg, la mortalité par MCV était similaire chez les sujets IFG par rapport aux sujets NFG. Lorsque la pression artérielle systolique était comprise entre 140 et 159 mm Hg, la mortalité par MCV était significativement plus élevée chez les sujets IFG que chez les sujets NFG. Pour des niveaux plus élevés de pression artérielle systolique, aucune différence significative n’a été trouvée entre les sujets IFG et NFG. Des résultats similaires ont été trouvés pour la PP, mais pas pour la DBP. Des tendances similaires ont été observées pour la mortalité totale. Il n’y avait pas d’interaction significative entre le glucose et les niveaux de pression artérielle systolique (variables continues), confirmant un cluster limité à l’IFG et à l’hypertension systolique modérée. Cependant, le risque relatif de mortalité par MCV associé à l’IFG par rapport à l’NFG, après ajustement sur l’âge, les taux de cholestérol et de triglycérides, l’IMC et le statut tabagique (RR=1,44 ; IC 95 % : 1,09 à 1,90), a disparu après inclusion de la PAS comme variable continue dans le modèle (RR=1,27 ; IC 95 % : 0,92 à 1,77), confirmant un rôle de la pression artérielle dans la détermination de la mortalité par MCV associée à l’IFG.

Tableau 4. TABLEAU 4. Ratios de risque de mortalité par maladie cardiovasculaire et de mortalité totale à 8 ans de l’IFG par rapport au NFG

Mortalité cardiovasculaire Mortalité totale
Les données sont présentées sous forme de ratio de risque (intervalle de confiance à 95%) ; les données sont ajustées pour l’âge, les taux de cholestérol et de triglycérides, l’indice de masse corporelle (IMC) et le tabagisme.
Tous 1.44 (1,09-1,90) 1,20 (1,05-1,39)
SBP<140 mm Hg 1.02 (0,62-1,70) 1,08 (0,90-1,31)
140≤SBP≤159 mm Hg 2.10 (1,16-3,80) 1,40 (1,05-1,86)
SBP≥160 mm Hg 1,19 (0.60-2,35) 0,98 (0,69-1,39)
DBP<90 mm Hg 1,25 (0,72-2.17) 1,13 (0,92-1,39)
90≤DBP≤99 mm Hg 1,59 (0,93-2.72) 1,27 (0,99-1,63)
DBP≥100 mm Hg 1,22 (0,65-2,28) 1.06 (0,76-1,46)
PP<50 mm Hg 0,95 (0,39-2,31) 0,99 (0.69-1,42)
50≤PP≤64 mm Hg 1,66 (1,02-2,68) 1,15 (0.92-1,45)
PP≥65 mm Hg 1,32 (0,55-3,15) 1,34 (0,91-1.98)

Le tableau 5 résume les RR pour la mortalité par MCV à 8 ans et la mortalité totale des patients souffrant d’hypertension systolique modérée (140≤ SBP ≤159 mm Hg) par rapport aux patients ayant une pression artérielle systolique normale (SBP <140 mm Hg) ajustés pour l’âge, les taux de cholestérol et de triglycérides, l’IMC et le tabagisme. La mortalité par MCV associée à une hypertension systolique modérée était clairement augmentée dans le groupe IFG, mais pas dans le groupe NFG. Des tendances similaires ont été trouvées pour la mortalité totale.

Tableau 5. TABLEAU 5. Ratios de risque de mortalité par maladie cardiovasculaire et de mortalité totale à 8 ans de l’hypertension systolique modérée par rapport à la pression artérielle systolique normale dans les groupes NFG et IFG

Mortalité cardiovasculaire Mortalité totale
Les données sont présentées sous forme de ratio de risque (intervalle de confiance à 95%) ; les données sont ajustées pour l’âge, les taux de cholestérol et de triglycérides, l’IMC et le tabagisme. Hypertension systolique modérée ; 140≤SBP≤159 mm Hg ; pression artérielle systolique normale : SBP<140 mm Hg.
Tous 1.49 (1,12-1,98) 1,41 (1,26-1,59)
NFG 1,35 (0,84-2,18) 1.25 (1,03-1,51)
IFG 2,97 (1,58-5,55) 1,64 (1,24-2,19)

Le taux de cholestérol, le taux de triglycérides ou l’IMC étaient beaucoup moins précis pour déterminer la mortalité par MCV des sujets IFG par rapport aux sujets NFG : RR=1,01 (IC 95 % : 1,01 à 1,01) pour le taux de cholestérol ; RR=1,00 (IC 95 % : 1,00 à 1,00) pour le taux de triglycérides ; et RR=1,04 (IC 95 % : 0,99 à 1,10) pour l’IMC. Seul le tabagisme actuel semblait jouer un rôle plus important dans la détermination de la mortalité par MCV des sujets IFG par rapport aux sujets NFG (RR=2,21 ; IC 95 % : 1,46 à 3,33).

La mortalité par MCV était principalement due aux maladies cardiaques. L’incidence des accidents vasculaires cérébraux était faible et similaire chez les hommes IFG par rapport aux hommes NFG (12% des décès par MCV chez les hommes NFG et 11% chez les hommes IFG). Les autres causes principales de mortalité étaient similaires dans les groupes NFG et IFG (cancer 47% vs 47% ; accident 12% vs 9%, respectivement).

L’analyse de la courbe de survie actuarielle (mortalité par MCV) a montré que la survie était significativement altérée chez les patients présentant une IFG plus une hypertension systolique modérée, mais l’IFG seule et l’hypertension systolique modérée (HSS) seule n’étaient associées qu’à une augmentation non significative de la mortalité par MCV par rapport aux sujets normaux.

La figure 2 montre la relation entre la mortalité par MCV et la mortalité totale et le niveau de la PAS sans ajustement. L’augmentation de la mortalité retrouvée chez les sujets IFG par rapport aux sujets NFG semble être significative lorsque la SBP est ≥140 mm Hg.

Figure 2. Taux de mortalité cardiovasculaire (A) et totale (B) à huit ans chez les sujets IFG et NFG en fonction du niveau de SBP. NFG indique une glycémie normale à jeun ; mortalité par MCV, mortalité par maladie cardiovasculaire. *P<0,05 versus NFG.

Discussion

Nos résultats démontrent clairement que dans une large population d’hommes à risque relativement faible (volontaires pour un examen médical gratuit), l’IFG est un trouble glycémique fréquent qui augmente significativement la mortalité globale et la mortalité par MCV à 8 ans lorsqu’il est associé à un SBP ≥140 mm Hg. De plus, la présence de l’IFG semble jouer un rôle significatif dans la détermination de la mortalité associée à une hypertension systolique modérée. Nous pouvons émettre l’hypothèse que le risque accru de mortalité précédemment décrit dans la population d’hypertension systolique modérée pourrait être lié, au moins en partie, à l’association avec l’IFG, et cette question n’a jamais été prise en compte dans les études précédentes. Des résultats similaires sont trouvés pour la PP, mais pas pour la DBP, confirmant un rôle clé de la SBP dans la détermination du risque cardiovasculaire de l’IFG. Nous n’avons pas d’explications claires concernant le rôle prédictif de la SBP par rapport à la DBP pour déterminer la mortalité par MCV dans l’IFG. Cependant, il a été démontré précédemment que le SBP était un déterminant clé de la mortalité par MCV, par rapport au DBP, dans le diabète sucré de type 2.8-11

Le groupe de sujets avec SBP ≥160 mm Hg et IFG ne démontre pas une augmentation claire de la mortalité par rapport aux sujets avec SBP ≥160 mm Hg et NFG. Cependant, la population des patients ayant une PAS ≥160 mm Hg présente plusieurs limites. (1) Le nombre de patients souffrant d’hypertension sévère est faible dans cette population relativement saine. La puissance statistique pour détecter un risque relatif de 1,5 associé à l’IFG dans ce groupe est de 23% et de 57% pour un risque relatif de 2,0. Ainsi, la puissance statistique semble trop faible dans ce groupe pour détecter une différence pertinente. (2) Cette population est hétérogène, contenant des patients avec une hypertension très sévère (par exemple SBP >180 mm Hg) et d’autres avec une hypertension moins sévère. Faire des sous-groupes dans le groupe de patients ayant un SBP ≥160 mm Hg induirait une puissance statistique trop faible. (3) Nous avons fortement recommandé à ces patients de consulter un médecin, et certainement, la plupart d’entre eux ont eu un traitement pour l’hypertension commencé peu après leur visite dans le centre IPC. Pour toutes ces raisons, même si nous montrons les résultats concernant le SBP ≥160 mm Hg, il semble difficile de tirer des conclusions claires sur ce groupe.

L’association trouvée dans notre population entre l’hypertension et l’IFG peut probablement être liée au syndrome métabolique12. L’hyperglycémie est associée à l’hypertension, à la dyslipidémie et à l’obésité et se produit isolément dans moins de 20 % de la population.13 Il a été démontré précédemment que la présence d’une hypertension marque la présence d’une hyperinsulinémie et d’une résistance à l’insuline supplémentaires, indépendamment de toute altération de la tolérance au glucose.14 Une incidence élevée d’hypertension systolique a été constatée chez les Indiens Pima présentant une intolérance au glucose : 13,0 % avaient une PAS ≥160 mm Hg, contre seulement 7,1 % chez les patients normoglycémiques et 19,8 % chez les patients diabétiques15. De plus, Fuller et al16 ont précédemment montré, dans une cohorte de 18 403 hommes, que chez les patients intolérants au glucose, les facteurs de risque les plus fortement liés au décès ultérieur par maladie coronarienne étaient l’âge et la pression artérielle, avec des relations moins cohérentes avec le tabagisme, le taux de cholestérol et l’obésité. Le lien entre la résistance à l’insuline et l’hypertension pourrait avoir une base génétique,17 et notre résultat concernant le cluster existant entre ces 2 maladies est cohérent avec cette hypothèse.

Le risque substantiellement accru de mortalité trouvé chez nos patients IFG concorde avec les résultats trouvés dans des études précédentes concernant l’intolérance au glucose. Celentano et al18 ont démontré que l’intolérance au glucose est associée à des anomalies de la fonction cardiaque, similaires à celles observées chez les patients diabétiques. Les molécules d’adhésion circulantes (molécule d’adhésion intercellulaire -1, molécule d’adhésion cellulaire vasculaire -1 et E-Selectin) sont plus nombreuses chez les patients présentant une intolérance au glucose.19 Caballero et al20 ont montré que des anomalies de la réactivité vasculaire et des marqueurs biochimiques de l’activation des cellules endothéliales sont présents précocement chez les individus à risque de développer un diabète de type 2, même à un stade où la tolérance au glucose est normale. Enfin, l’étude ARIC (Atherosclerosis Risk in Communities) a démontré que les personnes présentant une intolérance au glucose ont des artères plus rigides que leurs homologues présentant une tolérance normale au glucose.21

Cette étude présente plusieurs limites. Tout d’abord, compte tenu du taux élevé d’IFG constaté chez les hommes de notre population (17,0 %), un biais de recrutement ne peut être totalement exclu car l’incitation à passer un examen médical gratuit peut être déterminée par la perception d’un individu d’un éventuel trouble médical. Cependant, sur la base des statistiques nationales de mortalité, notre cohorte a présenté un taux de mortalité inférieur de 20% à celui de la population française générale. Ceci peut s’expliquer par le fait que les personnes se présentant à l’examen de santé sont apparemment en bonne santé et motivées pour être suivies. Par rapport aux données nationales, la distribution des différentes causes de mortalité dans notre cohorte est identique à celle retrouvée dans la population générale. Deuxièmement, nous n’avons utilisé qu’une seule mesure de base du glucose pour classer les individus dans des catégories de glucose. Au fil du temps, un grand nombre d’individus qui avaient un taux de glucose normal au moment de leur visite ont probablement développé un IFG, et un grand nombre de ceux qui avaient un IFG ont probablement développé un diabète. Comme ces facteurs peuvent influencer les résultats, le point de coupure pour les données de mortalité a été fixé à 8 ans afin d’éviter toute progression significative de l’état de perturbation du glucose dans chaque groupe. Troisièmement, le nombre brut de décès dus aux MCV n’est pas très élevé dans notre population de personnes en relativement bonne santé. Cependant, si nous sommes sûrs que les décès étiquetés « décès cardiovasculaires » sont réellement causés par une maladie cardiovasculaire, nous ne pouvons pas exclure qu’un pourcentage des sujets présentant d’autres causes de décès ne soit pas lié aux MCV. Ensuite, nous avons également effectué une analyse de la mortalité totale tout au long de cette étude et nous avons trouvé des résultats assez similaires par rapport à la mortalité due aux MCV. Quatrièmement, notre étude s’est concentrée sur les hommes. Chez les femmes, l’IFG avait tendance à être positivement associé à une augmentation de la mortalité par MCV à 8 ans (0,17% contre 0,08% dans le groupe NFG ; RR=2,07 ; IC 25% : 0,88 à 4,90), qui disparaissait après ajustement sur l’âge (RR=0,97 ; IC 25% : 0,41 à 2,32 ; 6 décès dans le groupe des femmes IFG). Le risque cardiovasculaire de décès dans une population relativement jeune de femmes est plus faible que chez les hommes, et l’incidence de l’IFG était faible chez les femmes de notre population (6,8%). La combinaison de ces 2 points conduit à une puissance statistique très faible dans cette population. Nous ne pouvons cependant pas exclure la possibilité que les résultats trouvés chez les hommes de notre population puissent être étendus, au moins en partie, aux femmes. Enfin, dans les tranches d’âge 21 à 30 ans ou 31 à 40 ans, nous avons trouvé un taux élevé d’hommes avec une PP ≥50 mm Hg et une PAS ≥140 mm Hg. Nous n’avons pas d’explications claires concernant cette particularité. Cependant, si la PP, mesure de substitution de la rigidité artérielle, est le meilleur prédicteur du risque de MCV chez les sujets âgés, la controverse est vraie chez les sujets plus jeunes,22 et Willkinson et al23 ont constaté qu’il existait des différences importantes entre la SBP, la DBP et la PP centrales et périphériques et ont démontré que la PP périphérique sous-estime les effets de la DBP sur la PP centrale chez les sujets jeunes.

Perspectives

L’association entre l’IFG et l’hypertension systolique modérée pourrait être le moyen d’identifier les hommes à risque de mortalité par MCV, probablement par le biais du syndrome métabolique. Les futurs essais concernant la gestion de la pression artérielle doivent prendre en compte l’IFG. De plus, d’autres études sont nécessaires pour évaluer si les traitements antihypertenseurs ou antidiabétiques peuvent réduire le risque pour ces patients et pour déterminer quelle devrait être la pression artérielle cible.

Cette étude a été réalisée avec des subventions de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, Paris). Nous remercions Merck Pharmaceutical Company pour son soutien financier et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) pour son soutien.

Footnotes

Correspondance au Dr Patrick Henry, Service de Cardiologie, Hôpital Lariboisière, 2 rue Ambroise Paré, 75010 Paris, France. E-mail
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