On ne cesse d’entendre parler des virus transmis par les chauves-souris, remarquables par leur virulence et leur pouvoir destructeur. Tout récemment, certains scientifiques ont rejeté la responsabilité de l’épidémie de coronavirus sur ces créatures ailées et poilues. Qu’est-ce qui fait d’elles de tels foyers de maladies mortelles ?

Les chauves-souris sont responsables de certains des virus zoonotiques – ceux qui se transmettent des animaux aux humains – les plus effrayants de mémoire récente. Ebola, SRAS, Marburg, Nipah et bien d’autres ont été retracés jusqu’au seul mammifère du monde capable de voler de façon soutenue. Une nouvelle étude suggère que leur niche unique dans le règne animal pourrait être responsable de ce palmarès viral.

En fait, certaines des adaptations qui ont permis aux chauves-souris de s’envoler dans les airs les ont également dotées d’un système immunitaire performant, selon l’étude, publiée au début du mois dans la revue eLife. Cette puissante réponse immunitaire contrecarre les virus envahissants, les poussant à s’adapter plus rapidement qu’ils ne le feraient chez d’autres hôtes. Cela tend à produire des virus bien plus mortels que les agents pathogènes que l’on trouve chez d’autres créatures. Ainsi, lorsque l’un d’entre eux fait un bond vers l’homme, les conséquences sont souvent alarmantes.

« Le virus peut se répliquer plus rapidement dans une chauve-souris hôte sans endommager la chauve-souris », explique Cara Brook, l’un des principaux auteurs de l’étude. « Mais quand il émerge dans quelque chose qui n’a pas de système immunitaire de chauve-souris, il est extrêmement virulent. »

Santé quasi parfaite

Des études antérieures ont montré que les chauves-souris hébergent plus de zoonoses que tout autre ordre taxonomique. Elles ont également montré que le taux de mortalité chez l’homme pour ces maladies est plus élevé que pour les virus provenant d’autres animaux.

Mais jusqu’à présent, la recherche a donné peu d’indications sur les raisons pour lesquelles les chauves-souris sont un terrain propice à la propagation de virus dangereux. Brook, boursière postdoctorale au laboratoire Glaunsinger de l’Université de Californie à Berkeley, et ses collègues ont conclu que le système immunitaire des chauves-souris – et les virus implacables qu’elles engendrent – sont des effets secondaires de la façon dont elles ont évolué pour prendre leur envol.

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Le vol, comme le dit Brook, est « extrêmement coûteux sur le plan physiologique ». Pour diverger de leurs ancêtres terrestres, les chauves-souris ont dû développer non seulement des ailes, mais aussi un taux métabolique bien plus élevé que celui des minuscules mammifères terrestres. Chez tout autre animal – surtout aussi petit – cela se ferait au prix d’une durée de vie plus courte, car des niveaux métaboliques élevés produisent davantage de radicaux libres endommageant les cellules.

« Les chauves-souris vont un peu à l’encontre de cela », dit-elle, « parce qu’elles atteignent ces taux métaboliques vraiment élevés, elles sont de petite taille, et pourtant elles vivent longtemps. »

Il semble qu’elles aient trouvé le sérum anti-âge ultime dans un ensemble de voies physiologiques qui réduisent le stress de leur corps, réparent les dommages à l’ADN et trafiquent l’inflammation, leur permettant de vivre jusqu’à 40 ans. D’autres mammifères de taille similaire pourraient vivre seulement quelques années.

L’ultime défense

Les chauves-souris combinent ces astuces évolutives avec un autre outil : l’interféron-alpha. Il s’agit d’une protéine commune aux réponses immunitaires des mammifères, utilisée pour signaler à d’autres cellules de l’organisme qu’elles doivent se fortifier contre une attaque imminente.

« Cela amène les cellules en aval… à passer dans un état antiviral », explique Brook, « ce qui restreint essentiellement l’entrée du virus dans ces cellules voisines et arrête la progression de l’infection. »

Cette réponse immunitaire, déclenchée par l’interféron, produit également une inflammation, qui provoque la sensation de douleur qui accompagne souvent la maladie. En trop grande quantité, elle peut gravement endommager le corps humain, mais comme les chauves-souris se sont adaptées pour minimiser l’inflammation, elles peuvent pousser cette réponse à l’interféron à l’extrême.

L’une des chauves-souris étudiées par Brook et ses collègues chercheurs est la roussette noire australienne, qui dispose de réserves d’interféron en veille perpétuelle pour combattre l’infection. Cela permet une défense immédiate et robuste qui submergerait les animaux sans les voies anti-inflammatoires de la chauve-souris.

Incubateurs de maladies

Leurs défenses robustes signifient que les cellules de chauve-souris se sont efficacement murées contre les virus. Mais cela ne signifie pas que les virus disparaissent. Au contraire, ils s’attardent, existant dans la chauve-souris pendant peut-être toute sa vie – et se répliquant à une vitesse jamais vue chez d’autres espèces. C’est ainsi que sont nées certaines des maladies les plus féroces de notre époque.

Lorsque ces souches endurcies par les chauves-souris se répandent dans les populations humaines, elles font souvent plus de mal à notre organisme que celles provenant d’autres sources. Alors que la recherche commence à élucider leur puissance unique, Brook espère trouver des moyens de prédire quelles espèces sont susceptibles de produire les pires épidémies.

Même si elle reconnaît la menace des chauves-souris pour la santé publique, Brook se garde bien de diaboliser ces créatures. Elle note que les épidémies de maladies provenant des chauves-souris semblent être de plus en plus fréquentes à mesure que les humains empiètent sur leur habitat, stressant les animaux et les amenant à excréter davantage de salive, d’urine et de fèces, qui contiennent des virus. Selon elle, la conservation pourrait profiter à la fois à notre espèce et aux chauves-souris d’un seul coup.

« Il est vraiment facile d’entrer dans ce climat où l’on voit les chauves-souris comme une sorte d’incubateur pour ces terribles infections », dit-elle. « Je crois effectivement que les virus transmis par les chauves-souris constituent des menaces pour la santé humaine, mais je pense que ces menaces peuvent être atténuées par des moyens qui impliquent la protection de ces populations à l’état sauvage. »

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