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Introduction
La reconnaissance et la prise en charge de la septicémie et du choc septique chez les femmes enceintes restent un défi, malgré plusieurs avancées réalisées dans la population des patientes non enceintes. Selon des estimations récentes, l’infection est responsable de 12,7 % de la mortalité maternelle aux États-Unis et, parmi ce groupe, 6 % sont caractérisés comme ayant un sepsis. Des données américaines récentes indiquent que l’infection est actuellement la troisième cause la plus fréquente de décès maternel et, contrairement aux décès maternels dus à des troubles hypertensifs et à des hémorragies, le nombre de décès liés à l’infection est en augmentation1. Cet article examinera comment reconnaître le sepsis et les principes clés de la prise en charge de cette affection chez les patientes enceintes.
Les directives de la Surviving Sepsis Campaign
La Surviving Sepsis Campaign est une collaboration continue entre la Society of Critical Care Medicine et la European Society of Intensive Care Medicine axée sur la conversion de la science actuelle en outils cliniques pratiques pour améliorer l’issue du sepsis. Les lignes directrices publiées en 2016 ont simplifié la définition de la septicémie et du choc septique.2 Il convient de noter que les considérations obstétriques n’ont pas été spécifiquement identifiées lors de l’établissement de ces lignes directrices et que la plupart des données scientifiques utilisées excluaient les femmes enceintes. Par conséquent, il est essentiel de tenir compte des changements physiologiques et hémodynamiques de la grossesse lors de l’adaptation de ces lignes directrices.
Le continuum du sepsis commence par une infection et évolue vers un choc et un dysfonctionnement de plusieurs organes s’il n’est pas interrompu. Le syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS) consiste en des changements physiologiques associés à l’infection sous-jacente et comprend une température > 38° ou < 36°C, une fréquence cardiaque > 90 bpm, un RR > 20, ou un nombre de globules blancs > 12 000 mm3. Ces critères ne sont plus nécessaires pour le diagnostic du sepsis, car ils ne sont pas spécifiques au sepsis et sont couramment observés dans d’autres scénarios cliniques, y compris la grossesse.3 Le sepsis est défini comme un dysfonctionnement des organes mettant en danger la vie du patient, causé par une réponse déréglée de l’hôte à l’infection. Un dysfonctionnement des organes est présent lorsque le score de l’évaluation séquentielle (liée au sepsis) de la défaillance des organes (SOFA) est ≥ 2. Le tableau 4 présente le score SOFA, qui évalue la fonction des systèmes respiratoire, hématologique, hépatique, cardiovasculaire, nerveux central et rénal.4 L’Organisation mondiale de la santé définit le sepsis maternel comme un dysfonctionnement d’organe menaçant le pronostic vital résultant d’une infection pendant la grossesse, l’accouchement, après l’avortement ou la période post-partum.5 Le choc septique existe lorsque des vasopresseurs sont nécessaires pour maintenir une pression artérielle moyenne de 65 mmHg ou plus et que le taux de lactate sérique est supérieur à 2 mmol/L après une réanimation volumique.2 Plusieurs calculateurs en ligne du score SOFA sont disponibles.
Outils de notation du sepsis
La reconnaissance précoce du sepsis permet de mettre en œuvre les trois objectifs principaux de la gestion du sepsis : 1) le contrôle de la source ; 2) le maintien de la perfusion ; et 3) l’antibiothérapie.6 Les systèmes de scoring permettant d’identifier les patients infectés présentant un risque de morbidité et de mortalité lié au sepsis et de prédire la probabilité d’une admission en soins intensifs (SI) ont été largement utilisés dans les services d’urgence, les unités médicales et chirurgicales et les SI. Certains systèmes de cotation, tels que le Modified Early Warning Score (MEWS) et le Quick Sequential (sepsis-related) Organ Failure Assessment score (qSOFA), sont destinés aux patients suspectés de sepsis pour prédire leur admission en soins intensifs.7,8 D’autres, tels que le score SOFA, l’Acute Physiologic and Chronic Health Evaluation (APACHE) et le Simplified Acute Physiologic Score (SAPS), sont destinés à prédire la mortalité chez les patients admis en soins intensifs. Seuls les scores SOFA et qSOFA sont spécifiquement destinés au patient septique. Cependant, aucun de ces systèmes de notation n’inclut les femmes enceintes dans leurs modèles de prédiction. Il est important de noter que le score SOFA est validé pour une utilisation chez les patients admis en soins intensifs et qu’il est réalisé à l’admission et toutes les 2 heures par la suite. Le score qSOFA est destiné à l’évaluation des patients ne se trouvant pas dans une unité de soins intensifs, mais chez qui l’on suspecte une septicémie et qui risquent d’être admis dans une unité de soins intensifs. Le score qSOFA est présenté dans le tableau 1.
Tous les outils de notation de la septicémie utilisent des combinaisons variables de signes vitaux, d’évaluation clinique et de paramètres de laboratoire pour prédire la morbidité et la mortalité et identifier les patients qui nécessitent des interventions. En conséquence, la morbidité maternelle peut être surestimée étant donné les changements physiologiques de la grossesse, qui augmentent artificiellement les scores.9-13 Par conséquent, l’applicabilité de ces systèmes de notation et la reconnaissance précoce du sepsis chez les femmes enceintes ont été compliquées par les adaptations physiologiques normales de la grossesse. Par exemple, les diminutions de la pression artérielle et les augmentations de la fréquence cardiaque et de la numération des globules blancs ne sont que quelques-uns des changements qui peuvent être difficiles à distinguer des changements pathologiques chez une patiente à risque de sepsis.3,14 Le score SOFA a été appliqué à une population d’unités de soins intensifs obstétriques en Inde. Les patients atteints de septicémie représentaient 9 % des admissions dans les unités de soins intensifs. Dans cette population, le score SOFA total à l’admission, le score SOFA total moyen et le score SOFA total maximal se sont tous avérés discriminer entre les survivants et les non-survivants avec une sensibilité et une spécificité élevées.15 De même, dans une population brésilienne d’unités de soins intensifs obstétriques, un score SOFA maximal ≥ 6 prédisait la mortalité maternelle avec une sensibilité de 89 % et une spécificité de 91 %16.
Le Sepsis in Obstetrics Score (SOS), décrit dans le tableau 2, a été initialement proposé en 2014 pour identifier les patientes à risque d’admission en USI et comprenait des modifications tenant compte de la physiologie de la femme enceinte.17 Par la suite, le SOS a été évalué de manière prospective et s’est avéré avoir une valeur prédictive négative de 98,6 % si le score était inférieur à 6.18 Par conséquent, un score inférieur à 6 peut être fiable pour prédire quelles patientes ne nécessiteront pas de soins en USI. Cependant, l’étude était limitée par de petits nombres et, par ailleurs, elle ne semblait pas fonctionner différemment des autres systèmes de notation pour prédire l’admission en USI.
En 2014, le National Partnership for Maternal Safety a proposé des critères d’alerte précoce maternelle pour indiquer la nécessité d’une évaluation urgente au chevet du patient et d’une escalade potentielle des soins.19 Il s’agissait d’une recommandation issue d’un consensus qui incluait, mais n’était pas spécifique à la septicémie pendant la grossesse. Par la suite, un grand système hospitalier américain a signalé une amélioration de la morbidité maternelle à la suite de la mise en œuvre d’un outil de déclenchement de l’alerte précoce maternelle (MEWT). Cet outil a été conçu pour s’attaquer aux quatre causes les plus courantes de morbidité maternelle : septicémie, dysfonctionnement cardiopulmonaire, prééclampsie-hypertension et hémorragie. Dans le cas d’une patiente présentant une température anormale, avec 2 déclencheurs ou plus, une série d’interventions est alors mise en place, qui aboutit finalement à l’admission en soins intensifs et à la mise en œuvre des ensembles de mesures de la campagne Surviving Sepsis, le cas échéant. Ces bundles sont abordés plus loin dans ce manuscrit.
Etiologies en obstétrique
Les conditions sous-jacentes les plus susceptibles d’être associées au développement d’une septicémie chez les femmes enceintes sont décrites dans le tableau 3. Sans surprise, les sources les plus courantes sont les poumons et les voies génito-urinaires.20 Les organismes fréquemment associés à la septicémie obstétricale comprennent : les streptocoques bêta-hémolytiques, les bâtonnets à Gram négatif comme Escherichia coli, Streptococcus pneumoniae et les grippes A et B.21,22 E. coli est l’agent pathogène de la septicémie le plus courant pendant la grossesse. Des données récentes indiquent également une augmentation des taux d’infection dus au streptocoque du groupe A, un agent pathogène très virulent. Le streptocoque du groupe A provoque souvent une progression rapide dans le continuum de la septicémie, entraînant un choc, une morbidité et une mortalité.23 Les infections poly-microbiennes pendant la grossesse sont également courantes et nécessitent une couverture antimicrobienne à large spectre ; cependant, chez 60 % des patientes, la cause est indéterminée.20 La prévention de la septicémie repose sur l’administration d’une antibiothérapie prophylactique lorsqu’elle est indiquée (c’est-à-dire avant l’opération), sur la reconnaissance de l’infection lorsqu’elle se développe et sur l’instauration d’un traitement approprié. Le traitement approprié comprend l’administration d’agents anti-infectieux par culture lorsque cela est possible et le contrôle de la source. Le contrôle de la source implique l’élimination de la source d’origine de l’infection et peut nécessiter une excision chirurgicale ou l’accouchement du fœtus.
Gestion
Lorsqu’un sepsis est suspecté, une intervention opportune avec les composants recommandés de l’ensemble de mesures et une thérapie précoce dirigée vers un objectif est essentielle. Malgré les difficultés d’application des critères de diagnostic et de cotation aux femmes enceintes, les principes de prise en charge du sepsis, à savoir une réanimation liquidienne agressive pour maintenir la perfusion et l’administration d’antibiotiques en temps opportun, s’appliquent. Les directives de la Surviving Sepsis Campaign proposent deux ensembles de soins à accomplir chez les patients septiques (tableau 5). Dans les 3 premières heures après la présentation, la prise en charge comprend :
- Mesurer le taux de lactate
- Obtenir des cultures sanguines avant l’administration d’antibiotiques
- Administrer des antibiotiques à large spectre
- Administrer 30 mL/kg de cristalloïde en cas d’hypotension ou de lactate ≥ 4 mmol/L
Les composants du faisceau de soins septiques doivent être initiés quel que soit l’environnement de soins, en anticipant l’admission aux soins intensifs. La fourniture d’un volume supplémentaire de réanimation peut être nécessaire, selon l’évaluation hémodynamique non invasive de la femme. S’il y a un retard dans l’obtention des cultures, les antibiotiques doivent être initiés dans l’heure qui suit le diagnostic pour améliorer les résultats.
Une fois ces objectifs atteints, les interventions deviennent de plus en plus agressives, si elles sont indiquées, selon la réponse de la patiente (tableau 5). Les objectifs du traitement dans les 6 premières heures de la présentation comprennent :
- Réévaluation de l’état volumique et de la perfusion tissulaire et documentation des résultats.
- En cas d’hypotension persistante après l’administration initiale de liquide (PAM < 65 mmHg) ou si le lactate initial était ≥4 mmol/L,
- Application de vasopresseurs (pour une hypotension qui ne répond pas à la réanimation liquidienne initiale) pour maintenir une pression artérielle moyenne (PAM) ≥ 65 mmHg
- Remesure du lactate si le lactate initial est élevé.
La réévaluation de l’état volumique et de la perfusion tissulaire peut être réalisée de plusieurs façons. La première est une évaluation clinique comprenant les signes vitaux, l’évaluation cardiopulmonaire, le remplissage capillaire, le pouls et les résultats de l’évaluation de la peau. Il est également possible d’effectuer deux des procédures suivantes pour recueillir des informations : mesure de la pression veineuse centrale (PVC), mesure de la saturation en oxygène de la veine centrale (ScvO2), échographie cardiovasculaire au chevet du patient, ou évaluation dynamique de la réactivité aux fluides par l’élévation passive de la jambe ou la provocation liquidienne (SSC). La pression veineuse centrale (PVC) reflète le volume diastolique final du ventricule droit, les valeurs les plus basses reflétant une déplétion volumique. Une plage de 8 à 12 mmHg de CVP doit être atteinte. La ScvO2 mesure la saturation en oxygène du sang veineux central prélevé dans la veine cave supérieure via un cathéter veineux central. Cette évaluation reflète l’équilibre global entre l’apport et la consommation d’oxygène au niveau des tissus. Des valeurs inférieures à 70 % reflètent soit une diminution de l’apport (c’est-à-dire une hypoxémie), soit une augmentation de la demande métabolique, de l’extraction et de l’utilisation (c’est-à-dire des frissons). Des valeurs plus élevées chez un patient septique peuvent refléter une mauvaise perfusion et donc une extraction réduite de l’oxygène au niveau des tissus. Des cathéters ScvO2 continus plus récents permettent d’utiliser une technologie similaire à l’oxymétrie de pouls pour évaluer les niveaux de saturation en oxygène retournant vers le côté droit du cœur. La diminution des valeurs de la ScvO2 est généralement constatée avant l’apparition de signes d’atteinte hémodynamique, ce qui permet une détection et une intervention précoces. Les considérations de traitement pour des valeurs ScvO2 basses comprennent : 1) la diminution de la demande métabolique ; 2) l’augmentation de l’apport en oxygène ; 3) l’augmentation de l’hémoglobine circulante ; et 4) l’augmentation du débit cardiaque. L’échographie cardiovasculaire au chevet du patient est une autre option pour évaluer la taille et la contractilité des ventricules droit et gauche ainsi que la taille de la veine cave inférieure. Toutes ces évaluations peuvent déterminer si le patient a une précharge et une perfusion tissulaire adéquates.
La septicémie et le choc septique entraînent des lésions endothéliales diffuses et une perméabilité vasculaire. En conséquence, le risque d’œdème pulmonaire non cardiogénique et l’hypoxémie qui en résulte doivent être anticipés. Il est essentiel de maintenir des valeurs de SpO2 supérieures à 95 % chez une femme enceinte. Si une ventilation mécanique est nécessaire, on peut s’attendre à ce que la sédation et/ou les agents bloqueurs neuromusculaires affectent l’évaluation du rythme cardiaque fœtal (RCF).
La sédation peut entraîner des dérèglements de la glycémie. Les données concernant les plages de glycémie optimales chez la patiente non enceinte ne sont pas concluantes.24 Cependant, des mesures doivent être prises pour éviter les épisodes d’hyperglycémie ou d’hypoglycémie chez la femme enceinte. La prophylaxie de la thromboembolie doit être mise en place dès le début des soins. Lorsqu’une femme est prise en charge dans une unité de soins intensifs non obstétrique, des stratégies de cogestion entre le spécialiste en médecine materno-fœtale et l’intensiviste doivent être mises en œuvre. La consultation de spécialistes des maladies infectieuses doit également être envisagée.
Évaluation fœtale et accouchement
Chez une femme présentant une septicémie et un fœtus viable, une surveillance fœtale fréquente (voire continue) est recommandée. Comme pour tout diagnostic, la surveillance fœtale n’est indiquée que si des interventions sur le fœtus, y compris une césarienne, seraient envisagées. Chez une patiente enceinte atteinte de sepsis, un shuntage de la circulation hors de l’utérus est probable si le processus septique ne peut être interrompu, si une optimisation adéquate du volume intravasculaire et du débit cardiaque n’est pas réalisée et si une hypotension survient. De plus, l’utilisation d’agents vasoconstricteurs intraveineux pour améliorer la PAM peut réduire davantage la perfusion utéroplacentaire. Cela entraîne des modifications du RCF et probablement des contractions. Chez une patiente prématurée, des corticostéroïdes doivent être envisagés pour favoriser la maturité pulmonaire du fœtus.
Les mesures visant à éliminer la source de l’infection et à arrêter la propagation continue de l’infection sont décrites comme le contrôle de la source. La source de l’infection chez une patiente enceinte peut être l’utérus, nécessitant donc un accouchement, indépendamment de l’âge gestationnel. Dans d’autres circonstances, la décision d’accoucher ou non sera fondée sur de multiples facteurs, notamment la probabilité d’une amélioration de l’état de la mère, la capacité de traiter adéquatement la septicémie en l’absence d’accouchement et l’impact du processus d’accouchement sur l’état de la mère. Les preuves concernant le bénéfice de l’accouchement chez les femmes enceintes gravement malades sont très limitées, contradictoires et non convaincantes.25,26 Le tableau 6 présente les facteurs à prendre en compte pour envisager l’accouchement chez une patiente septique.
Conclusion
La septicémie chez les patientes obstétricales est en augmentation aux États-Unis et constitue une cause majeure de mortalité maternelle. La reconnaissance précoce de la septicémie est essentielle pour prévenir la progression de la maladie vers le choc septique et réduire la mortalité maternelle. Si la condition est reconnue, alors la mise en œuvre opportune des ensembles de gestion du sepsis peut être accomplie.
Les signes vitaux maternels et les déclencheurs cliniques ont été proposés dans un effort pour identifier les patients atteints de sepsis et faciliter les interventions précoces, cependant, des études supplémentaires sont nécessaires.